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Quel
est donc ce Dieu qui se tait dans
l'épreuve ?
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Lorsque l'homme de la Bible est traversé par des interrogations radicales, peut-il encore accueillir le Dieu de l'Alliance ? Quel est donc ce Dieu silencieux aux temps de l'épreuve ? « Pourquoi, Seigneur, restes-tu loin, te caches-tu aux temps de détresse ? » (Ps 10,1) « Jusqu'à quand me vas-tu cacher ta face ? » (Ps 13,2 ; Jb 13,24) « Sors de ton silence ! » (Ps 35,22) De quoi être sarcastique puisque « Il ne répond même pas une fois sur mille » (Jb 9,3). Et, que dire devant le pays dévasté au moment de l'Exil ? « Même le prêtre, même le prophète qui parcourt le pays, ne comprend pas. As-tu pour de bon rejeté Juda ? Ou es-tu dégoûté de Sion ? Pourquoi nous avoir frappés sans aucune guérison ? » (Jr 14,18s) Le silence de Dieu est-il absence de Dieu ?
Dieu voudrait-il la mort de son Fils ? Le récit évangélique quant à lui nous présente Jésus, homme libre qui s'expose par sa parole et ses actes. Au dire de Luc, il ne subit pas le cours des événements mais il marche résolument vers sa Pâques. « Comme s'accomplissait le temps où il devait être enlevé, il durcit son visage et prit résolument le chemin de Jérusalem. » (Lc 9,51) Sur ce chemin, il rencontre des oppositions, elles se révéleront finalement mortelles pour lui (Mt 21,12-16 ; 26,3). En méditant sur la vie des prophètes, Jésus pouvait pressentir les risques qu'il encourait, comme en témoigne cette apostrophe : « Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et lapides ceux qui te sont envoyés. » (23,37 ; 21,35) C'est pourquoi, la mort ne le surprend pas. Sa mort qui vient, cette mort qu'il accepte est la conséquence assumée de sa parole risquée. L'affirmation « Il fallait que le Fils de l'Homme fût livré » (Mt 16,21 ; 17,22 ; 20,18) est le nud des récits de la Passion, mais comment comprendre ? Dieu voudrait-il la mort de son Fils, lui tracerait-il un destin implacable ? Jésus devant sa mort reste t-il un homme libre ou est-il déterminé par ce qui « est écrit de lui » (Mt 26,24) ? Certes, la formule « il fallait » souligne l'aspect inévitable du cours des événements Cependant, le récit de la Passion n'élimine pas pour autant la liberté des hommes. Leurs actions, leurs libertés y sont soulignées. Le récit assume la trahison (Mt 26,21.48), le reniement (26,69-75), l'abandon et la fuite (26,56). Tel est le paradoxe de l'intrigue du récit, il conjugue la liberté divine et la liberté humaine. S'il y a plan de Dieu, celui-ci ne fait pas fi de la récalcitrance des hommes. Ainsi, pour rendre compte du scandale de la Passion, les premiers chrétiens chercheront dans les Écritures la clef de l'énigme : pourquoi un messie crucifié ? La réponse n'y est pas directe nulle part, en effet, il est annoncé explicitement comme tel. Pour comprendre, à l'instar des disciples d'Emmaüs, il faudra une intelligence renouvelée des Écritures (Lc 24,32). La vie, la mort et la résurrection de Jésus pourront alors trouver sens « Selon les Écritures ». Les Écritures, matrice de sa vie, lieu où lui- même cherchait à discerner la volonté du Père, deviennent le lieu du sens pour enfin trouver cette cohérence qui fait tant défaut : « Nous espérions avec tout cela, voilà le troisième jour. » (24,21) C'est après coup que le puzzle reconstitué prend sens. Il en est ainsi de la vie de Jésus comme de nos vies relues à la lumière de la foi.
Jusqu'au silence de Dieu Tout au long de sa vie, l'Évangile en témoigne, Jésus s'est maintenu dans une relation vivante avec celui qu'il appelle « Mon Père », et ce, jusque dans l'épreuve. A Gethsémani, à l'approche de sa mort, qui semble inéluctable, il dit : « Je m'en irai prier là-bas et il commença à ressentir tristesse et angoisse. » (Mt 26,36-37) Il ressent alors dans toute sa force l'effroi que la mort inspire à l'homme : « Mon Père, s'il est possible, que cette coupe passe loin de moi ! » (Mt 26,39a) La liberté de Jésus est à entendre jusqu'au silence de Dieu. « C'est lui qui, aux jours de sa chair, ayant présenté, avec une violente clameur et des larmes, des implorations et des supplications à celui qui pouvait le sauver de la mort » (He 5,7) Pourquoi ne se manifeste-t-il pas comme au baptême ou à la transfiguration ? Pourquoi ce silence de Dieu ?
Une relation vivante Jésus, devant sa mort, reste-t-il libre ? Comment entendre la parole « Cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux » (Mt 26,39b) ? Serait-elle soumission fatale devant un destin implacable ? N'est-elle pas plutôt une réponse libre d'un "Je" à un "Tu" ? « Si cette coupe ne peut passer sans que je la boive, que ta volonté soit faite ! » (Mt 26,42). Jésus meurt, seul, abandonné des siens. (Mc 14,50) L'est-il de Dieu ? Il ne cesse pourtant d'être en relation avec son Père au moment même où il se croit abandonné de Lui : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? » (Mt 27,46 ; Ps 22,2) La question de la foule : « Que Dieu le délivre maintenant, s'il s'intéresse à lui ? » (Mt 27,43) jette un trouble et reste sans réponse immédiate si ce n'est au matin de Pâques. La volonté de Dieu n'est pas un destin qui s'impose ni une fatalité, car rien n'est joué d'avance. Elle s'inscrit toujours dans une relation et vise à susciter une réponse libre. Dieu veut faire de nous des partenaires d'Alliance et ne peut rien faire sans notre "fiat" : « Qu'il m'advienne selon ta parole. » (Lc 1,38) Faire la volonté de Dieu, c'est se maintenir à l'écoute dans cette relation vivante, c'est vivre en espérance et ce jusque dans l'épreuve. Loin d'une soumission aveugle à une autorité, l'écoute est travail de discernement, relecture à la lumière de la foi. Le Dieu de la Bible n'est pas une force arbitraire qui se joue des hommes mais bien Celui qui attend une réponse libre.
Pour poursuivre la réflexion Lire le récit de la Passion selon St Matthieu. Croire aux jours du malheur, est-ce encore possible pour Jésus, pour les disciples, pour nous-mêmes ? En lisant le livre de Job, repérer comment, au cur même des épreuves, la relation vivante de Job avec son Dieu est maintenue.
Texte biblique Passion de N.S.J.C. selon St Matthieu (Mt 26,1-45) 26 Et il advint, quand Jésus eut achevé tous ces discours, qu'il dit à ses disciples : (1) "La Pâque, vous le savez, tombe dans deux jours, et le Fils de l'homme va être livré pour être crucifié." (2) Alors les grands prêtres et les anciens du peuple s'assemblèrent dans le palais du Grand Prêtre, qui s'appelait Caïphe, (3) et se concertèrent en vue d'arrêter Jésus par ruse et de le tuer. (4) Ils disaient toutefois : "Pas en pleine fête ; il faut éviter un tumulte parmi le peuple." (5) ( ) Alors l'un des Douze, appelé Judas Iscariote, se rendit auprès des grands prêtres (14) et leur dit : "Que voulez-vous me donner, et moi je vous le livrerai ? " Ceux-ci lui versèrent trente pièces d'argent. (15) Et de ce moment il cherchait une occasion favorable pour le livrer. (16) ( ) Le soir venu, il était à table avec les Douze. (20) Et tandis qu'ils mangeaient, il dit : "En vérité je vous le dis, l'un de vous me livrera." (21) Fort attristés, ils se mirent chacun à lui dire : "Serait-ce moi, Seigneur ? " (22) Il répondit : "Quelqu'un qui a plongé avec moi la main dans le plat, voilà celui qui va me livrer ! (23) Le Fils de l'homme s'en va selon qu'il est écrit de lui ; mais malheur à cet homme-là par qui le Fils de l'homme est livré ! Mieux eût valu pour cet homme-là de ne pas naître ! " (24) A son tour, Judas, celui qui allait le livrer, lui demanda : "Serait-ce moi, Rabbi ? " - "Tu l'as dit", répond Jésus. (25) Or, tandis qu'ils mangeaient, Jésus prit du pain, le bénit, le rompit et le donna aux disciples en disant : "Prenez, mangez, ceci est mon corps." (26) Puis, prenant une coupe, il rendit grâces et la leur donna en disant : "Buvez-en tous ; (27) car ceci est mon sang, le sang de l'alliance, qui va être répandu pour une multitude en rémission des péchés. (28) Je vous le dis, je ne boirai plus désormais de ce produit de la vigne jusqu'au jour où je le boirai avec vous, nouveau, dans le Royaume de mon Père." (29) Après le chant des psaumes, ils partirent pour le mont des Oliviers. (30) Alors Jésus leur dit : "Vous tous, vous allez succomber à cause de moi, cette nuit même. Il est écrit en effet : Je frapperai le pasteur, et les brebis du troupeau seront dispersées. (31) Mais après ma résurrection je vous précéderai en Galilée." (32) Prenant la parole, Pierre lui dit : "Si tous succombent à cause de toi, moi je ne succomberai jamais." (33) Jésus lui répliqua : "En vérité je te le dis : cette nuit même, avant que le coq chante, tu m'auras renié trois fois." (34) Pierre lui dit : "Dussé-je mourir avec toi, non, je ne te renierai pas." Et tous les disciples en dirent autant. (35) Alors Jésus parvient avec eux à un domaine appelé Gethsémani, et il dit aux disciples : "Restez ici, tandis que je m'en irai prier là-bas." (36) Et prenant avec lui Pierre et les deux fils de Zébédée, il commença à ressentir tristesse et angoisse. (37) Alors il leur dit : "Mon âme est triste à en mourir, demeurez ici et veillez avec moi." (38) Étant allé un peu plus loin, il tomba face contre terre en faisant cette prière : "Mon Père, s'il est possible, que cette coupe passe loin de moi ! Cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux." (39) Il vient vers les disciples et les trouve en train de dormir ; et il dit à Pierre : "Ainsi, vous n'avez pas eu la force de veiller une heure avec moi ! (40) Veillez et priez pour ne pas entrer en tentation : l'esprit est ardent, mais la chair est faible." (41) A nouveau, pour la deuxième fois, il s'en alla prier : " Mon Père, dit-il, si cette coupe ne peut passer sans que je la boive, que ta volonté soit faite ! " (42) ( ) Alors il vient vers les disciples et leur dit : "Désormais vous pouvez dormir et vous reposer : voici toute proche l'heure où le Fils de l'homme va être livré aux mains des pécheurs. (45) |