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Info-Doc n°45

Echos du CREC

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Echos du CREC

Quête spirituelle et nouveaux courants religieux

Les 15 et 16 janvier s'est tenu à Nîmes le week-end annuel organisé par le Centre de Réflexion et d'Etudes Chrétiennes. Les participants ont apprécié la compétence des intervenants et la complémentarité des exposés. Le Père Pierre Gauzy (délégué diocésain "Pastorale et Sectes, nouvelles Croyances") et le Père Jean-Marie Forrett, prêtre du diocèse de Montpellier (philosophe et moraliste) ont donné à leur auditoire des clés de discernement pour se situer dans la nébuleuse religieuse où nous vivons aujourd'hui.

I- Approche sociologique

Sans entrer de suite dans un jugement de valeur, le Père Gauzy a essayé de nous faire découvrir de l'intérieur le climat dans lequel nous baignons.

Le livre de Frédéric Lenoir "Les métamorphoses de Dieu ou la nouvelle spiritualité occidentale" lui servira pour donner quelques points de repère.

De la recherche pour capter des énergies dans la crypte de St Gilles, de la cosmoculture dans laquelle veut nous immerger un producteur de vin, en passant par le livre "La petite voie" qui invite à se laisser couler avec la nature, à entrer en harmonie… nous baignons dans ce climat.

Nous sommes invités à explorer trois domaines : le divin comme réalité ultime, l'homme et le cosmos.

Le Père Gauzy situe en vis-à-vis, sous forme de parabole, le climat (comme évolution dans un milieu donné) et l'atmosphère (le milieu exerçant une influence).

1a- La réalité ultime est indicible (climat), qualifiée ainsi : force, énergie, esprit.

Le divin est impersonnel, indéterminé, indicible, invérifiable, indéfinissable. Il s'agit d'éprouver un sentiment de plénitude, de capter, d'être en harmonie. De ce divin émane l'âme du monde.

1b- Le créateur comme être relationnel (atmosphère)

Le Dieu de la tradition Judéo-chrétienne est personnalisé. On peut en partie en rendre compte. Il est créateur produisant l'univers, Dieu vis-à-vis de l'homme, Dieu de l'alliance.

2a- L'homme est indicible (climat)

Il cherche à éprouver le divin dans les profondeurs de son être. Le "ressenti" l'emporte sur le "réfléchi" : concentration, méditation, stages dans la nature, respirer et vivre au rythme de son corps. L'essence de l'homme est ici insaisissable, tout est en tout, dans une dimension totalisante et globalisante.

2b- L'homme est créé être relationnel (atmosphère)

Il est créé à l'image de Dieu, en situation de vis-à-vis, de dépendance. Il est créature limitée en relation d'alliance.

3a- Le cosmos (climat)

L'homme est à la recherche du sacré. Ainsi, il existe de multiples pratiques et croyances, des anges gardiens que l'on peut apprivoiser à la sorcellerie magique : du Seigneur des anneaux à Harry Potter... Films, revues et magazines baignent dans ce climat.

Nous sommes dans un "réenchantement du monde", dimension magique, véritable "écologie spirituelle", où le divin maternel se confond avec la terre maternelle. Le divin y est impersonnel, transcendant, mais aussi immanent (esprit, anges...)

3b- Un monde créé (atmosphère)

Le monde n'est pas une émanation du divin, mais un monde à maîtriser et à dominer.

Dieu leur dit : "soyez féconds, emplissez la terre, soumettez-la."

Avant de juger, il s'agit d'essayer de comprendre. Le maître mot est celui de dialogue avec soi-même et les autres.

II- Approche anthropologique

Le Père Forrett nous a invités à explorer ce qui caractérise le temps humain. Il nous a proposé 7 points :

1- Une approche philosophique du spirituel

Le "spirituel" peut se définir comme l'effort permanent, culturel et personnel que l'homme fournit pour comprendre, interpréter et assumer sa condition humaine et ce en y trouvant de l'intérêt (langage, capacité à symboliser, quête de sens). L'homme y trouve un intérêt existentiel au sens étymologique du terme. Il est en quête de sens nécessaire pour la vitalité de la vie. L'homme a besoin de se représenter l'ensemble de la réalité, tendu vers l'absolu qui n'est pas une pure projection.

2- Une approche de la durée humaine (passé, présent, futur)

Elle nous est propre, s'inscrivant dans l'espace et le temps. La temporalité humaine est différente de celles naturelle et animale. Elle s'inscrit dans le cadre de la culture (mythe, langage, religion...) : voilà la différence anthropologique.

L'homme est capable de penser Dieu. Il s'inscrit dans une durée humaine, qualifiée par la perception du passé, du présent et de l'avenir, et non pas seulement d'un éternel présent. L'homme pense, imagine. On n'est pas simplement dans le "ressenti". Il vit dans un présent qualitatif, ouvert sur l'avenir. Se percevant comme une personne pas simplement une chose dans le présent. Le maître mot ici est la liberté.

3- Quand l'expérience de la durée devient celle de l'histoire

L'homme redoute, résiste à l'histoire. Pour simplifier, on trouve deux façons d'entrer en histoire soit à reculons (cf traditionalisme), soit avec une conscience positive (modernité).

L'évènement : L'homme vit sa réalité sous la modalité de l'histoire et pas simplement de la répétition.

La nouveauté : Du neuf peut jaillir de ce temps qualitatif.

Le tragique : L'histoire est ambivalente, elle est célébration de la vitalité de la vie, (destin tragique - cf. la Shoah).

Selon les mots de Heidegger : "L'homme est un être jeté dans le monde". Il s'expérimente comme déchu vis-à-vis de la perfection de la nature, des dieux.

Le culte y est fondement de la culture (même racine). Le premier réflexe universel est celui de lutter contre l'histoire, de sortir du profane pour entrer dans la quête du sacré. L'homme est en mouvement constant, incertain, dans une vie risquée, c'est l'histoire.

L'outil : Par l'outil, l'homme s'ouvre à l'avenir, le remise, le perfectionne. Ainsi, du galet éclaté à la scission atomique, ambivalent, il peut être source de vie ou de mort.

La tombe : Seul l'homme enterre ses morts.

4- La pensée archaïque comme refus de l'histoire

On peut distinguer les cultures traditionnelles et l'humanité moderne.

La mentalité traditionnelle refuse l'histoire, elle est en quête de la source, de l'archétype permanent (ainsi Ulysse retournant à Ithaque), du temps originel (mythos), du temps d'avant le temps, en quête du sacré.

Le sacré est cette main tendue par l'humanité, une activité permanente vers le divin, le temps avant le temps, la réalité ultime. Le temps est circulaire, cyclique (culte de la nature, paganisme).

Cependant, la bible nous introduit dans un autre rapport au temps : un temps linéaire, ouvrant une histoire, un avenir.

5- La modernité comme rupture : l'entrée en histoire

En valorisant l'histoire, les faits réels, les acteurs, la conscience moderne va valoriser l'avenir. Avec la modernité un pas irréversible a été fait : sorti de la nature, l'homme, être de culture, peut-il revenir au sein de la nature ?

6- Les limites de l'histori-cisme

La survalorisation de l'histoire sans explication autre qu'elle même (sans sacré ni providence), n'a pu être tenue jusqu'au bout par les philosophes : Hegel a été obligé de penser l'Esprit, l'Absolu, fut-ce à travers une gnose (la providence divine produisant le bien à travers le mal) ; Marx et le rêve communiste d'un nouveau paradis ; Nietzsche, qui a eu le sens aigu du tragique aura pourtant recours au mythe de l'éternel retour.

7- L'impossible nostalgie, la modernité du christianisme

Le "désenchantement du monde" peut se comprendre comme la sortie irréversible du règne des mythes et de leur a-temporalité. Ainsi, l'acquis de la science concernant l'évolution. L'homme moderne ne peut retourner dans le sein maternel du sacré primordial, il est irrémédiablement intégré à l'histoire. Cependant, cette sortie n'est jamais achevée.

Le christianisme a été le facteur le plus déterminant de cette formidable évolution culturelle. Avec la découverte simultanée de la linéarité du temps et de la liberté. L'émergence de la science, la valorisation de la nouveauté et de la découverte.

Avec le Dieu unique faisant entrer en Alliance, s'affirment deux déterminants : liberté et responsabilité morale.

Synthèse des interventions du samedi après-midi par Jean-Luc Thirion

 

La deuxième conférence du P. Gauzy nous propose une approche philosophique de la notion de spiritualité.

Dans le contexte dans lequel nous baignons la spiritualité s'éprouve comme une exploration intérieure qu'on aborde avant tout par l'émotion. Il s'agit d'atteindre le soi profond et cosmique. Elle s'éprouve avant de se penser.

Alors, s'interroge le P. Gauzy, la rationalité n'aurait-elle pas son mot à dire ? Que ce soit dans la Bible (les Proverbes, les livres de Sagesse) ou les écrits de St Augustin ou du Père Zündel, on voit que la quête de sens interroge. L'intelligence est présente dans cette recherche intime.

Allons plus loin : les "autres" sont constitutifs de mon épanouissement ; la découverte de l'altérité est un critère de discernement devant les propositions qui oublient la dimension relationnelle de la personne humaine.

Ceci, d'ailleurs, n'exclut pas la place faite à la sensibilité qui demeure ouverture à la beauté et aspiration à l'harmonie.

Les propos du P. Forrett nous ont alors aidés à passer du sacré au saint.

On peut constater l'universalité de l'expérience du sacré, celui-ci étant entendu comme une manière qu'a l'homme de projeter son monde, comme le bras tendu vers le divin (la réalité fondamentale) qu'il s'efforce d'atteindre. Le sacré est le propre de l'homme qui a besoin de donner sens à sa vie en instaurant des valeurs. Et la plus grande des valeurs à promouvoir est la Vie. La religion aura comme raison d'être de défendre la vitalité de la vie et de lutter contre le mal qui la détruit, contre l'absurde. Dans l'étymologie du mot "religion" il y a "re-ligare", ce qui relie deux niveaux (profane, sacré). Il y a aussi "re-legere", relire, la dimension cognitive où s'exprime le besoin de comprendre, d'apprivoiser l'inconnu. Alors, peut-on reléguer la religion dans le domaine du privé alors que c'est elle qui fonde les valeurs que la culture va véhiculer ?

Le christianisme se tient sur ce terreau religieux mais la révélation biblique va introduire un déplacement dans le sacré universel. Dieu est invoqué comme le Vivant, le donateur de Vie. Le déplacement met en valeur la dimension éthique. L'homme devient partenaire responsable d'une alliance avec un Dieu unique et personnel. C'est ce que la méditation sur l'épisode du Buisson Ardent fait découvrir : alors que régnait le chaos (esclavage), il y a irruption de la vie par un Dieu caché qui se révèle identifiable. Moïse est introduit dans une relation où il devient adulte responsable, à l'écoute permanente d'une parole qui donne vie, libéré par l'exercice de la justice, inséré dans l'histoire. On est passé du sacré au saint, non comme un accomplissement du sacré universel mais dans une mutation irréversible. Il n'est plus désormais possible de revenir en arrière, la nouveauté est là. Le désenchantement du monde comme sortie des mythes est acquis, même s'il n'est jamais complètement achevé.

L'homme a une destinée unique où liberté et responsabilité se conjuguent dans une relation personnelle avec Dieu.

La matinée du dimanche s'est terminée par une brève réflexion en petits groupes à partir du texte "Le Christ de l'ère des poissons" 1. Ce travail devait donner aux participants des critères de discernement entre panthéisme, syncrétisme et gnosticisme. Il a introduit la table ronde de l'après-midi animée par Jean-Luc Thirion. Quelques points de repère ont été clairement explicités autour des concepts sociologiques, philosophiques et théologiques. Les deux intervenants ont ensuite répondu à des questions posées par l'assemblée mais le temps a manqué…

La célébration de l'Eucharistie a permis de prier ensemble et de rendre grâce pour ce week-end vécu dans la convivialité et la réflexion.

Puissent les clés de discernement reçues nous aider à entrer en dialogue avec ce monde dans lequel nous vivons sans oublier d'entrer d'abord en dialogue avec soi-même comme nous y invite un autre théologien, le Cardinal de Lubac : "Le contact du croyant avec l'incroyant doit prendre la forme du dialogue… Mais le dialogue ne s'établira jamais s'il n'est d'abord dialogue avec soi-même." 2

Marie-Claude Bosc, Christiane Girardon, Monique Manifacier

1 cf. Revue "Le monde inconnu" (n° 23 sept. 1984)

2 "Paradoxes", de Lubac