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Eloge
de la lecture et de la
bibliothèque
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Il n'est pas besoin d'avoir goûté aux charmes de l'édition ou de l'impression pour ressentir une émotion de bon aloi en prenant en main un livre fraîchement paru, en le soupesant, en respirant son parfum d'encre et de papier ; il y a là, avant toute entrée dans le vif du sujet, un contact physique extraordinaire. On se prépare alors à la confrontation avec un inconnu, en espérant qu'il devienne un partenaire et, si tout va bien, une sorte de complice ! Certes, ce genre d'émotion pourra paraître désuet, démodé, pour tout dire "ringard", à l'époque où, pour celui qui en a les moyens et le goût, tout est disponible à tout moment sur un écran vide qui ne demande qu'à s'éclairer... Aujourd'hui, "l'acte de lecture" dont je voudrais faire l'éloge, est affronté aux maîtres-mots du temps : efficacité, rapidité, effort minimal... et il semble bien mal parti car justement ce qui le caractérise extérieurement, c'est le temps qu'il faut prendre par choix ou par nécessité, c'est l'effort qu'il faut faire sur soi-même pour vaincre sa paresse naturelle comme pour réussir à composer avec l'auteur et à le comprendre, avant peut-être de l'aimer. Qu'est-ce donc que l'acte de lecture ? Il est multiple car il est entrée dans la pensée de l'auteur et confrontation avec mon propre point de vue. Il devient même, au-delà du temps et de l'espace, dialogue plus ou moins musclé avant de s'achever dans une complicité fraternelle ou dans un désaccord affirmé. (Je mets de côté ici les livres qui laissent momentanément indifférent). Il va donc s'agir pour moi de faire l'effort de sympathie dont parle Bergson pour, autant que faire se peut, me mettre à la place de l'auteur, approcher ses points de vue "de l'intérieur" et me dédoubler en celui qui propose une idée ou une thèse et celui qui la reçoit. Cet "acte" sera d'ailleurs différent suivant que je viendrai au livre chercher une détente ou l'oubli, demander une réponse à une question que je me pose, tenter une entrée dans un domaine que j'ignore ou me lancer dans un approfondissement de connaissances, utilitaire ou gratuit, pour une formation à usage bien défini ou pour ce que j'appellerai mon plaisir (pour ne pas utiliser le mot de "culture"). Mais quelle que soit mon approche, le profit du contact avec le livre sera immédiat à condition que je n'en reste pas au niveau du "livresque" et que ma lecture soit pour moi occasion de remise en cause, de sursaut dans mes attitudes intellectuelles certes, mais aussi et surtout dans mes comportements quotidiens. Il y a des livres qui ont déclenché des engagements sociaux ou politiques. Il y a des livres qui ont amené des inscriptions à des partis politiques, il en est d'autres qui ont été à l'origine d'entrées au couvent ou au séminaire. Il en est beaucoup qui peuvent être source de réflexion et de vie quotidienne. Pensons simplement à tel ouvrage de P. Valadier ou de X. Thévenot Cela devient possible quand, au-delà des mots imprimés, j'entrevois une personne qui cherche à me dire une parole qui m'interpelle ou qui me fera du bien et quand j'entre en dialogue avec elle. Un exemple parmi tant d'autres possibles : le petit livre de Christian Bobin "La plus que vive", écrit après la mort de l'amour de sa vie, a, pour beaucoup de personnes de ma connaissance, été l'occasion de reconsidérer tel deuil qui les avait frappées. Cela n'en pose pas moins un certain nombre de questions. Des livres, il en paraît des milliers chaque année. Trop, c'est trop ! comment choisir ? comment trouver son miel dans une telle surabondance ? Le bouche à oreille ? ce que me dira tel(le) ami(e). Ce que me diront les media que je consulte ? Peut-être, mais nous savons tous ce que de telles propositions ont amené en fait de déceptions, même si nous leur devons quelques moments de bonheur. Alors ? C'est là qu'interviennent deux genres de personnes, très différentes et très voisines, mais irremplaçables dans notre quête. Les auteurs de recensions que nous trouvons dans un certain nombre de revues, vont être pour nous, lecteurs occasionnels, ceux qui nous éviteront de nous perdre dans les amas de livres qui paraissent. Suivant la revue où ils officient, ils nous donneront des points de vue, orientés certes - c'est à la fois une faiblesse et un avantage mais qui nous gagneront bien du temps. Les libraires aussi oh, je n'évoque pas les "grandes surfaces du livre", même s'il y a des exceptions. Mais les libraires "à l'ancienne" qui prennent le temps de lire ce qui sort et savent proposer à leurs clients, en fonction de leurs goûts ou de leurs centres d'intérêt, des ouvrages qui leur conviendront parce qu'ils connaissent leur clientèle et savent la conseiller à condition qu'elle se laisse faire bien sûr ! A ce stade, nous nous trouvons donc avec une liste d'ouvrages dont nous sommes presque sûrs qu'ils nous intéresseront, qu'ils nous seront utiles ou nous feront du bien. Mais il y en a beaucoup trop : pour notre capacité de lecture et ... pour notre bourse ! Même si je consacre à la lecture tous mes temps de liberté, je serai matériellement incapable de lire tout ce qui m'intéresserait... et puis, que penseront mon mari, mon épouse, mes amis ou ceux qui attendent de moi un peu de disponibilité ? Problème ! Les livres qui aident à réfléchir, qui posent les vrais problèmes de société, sont rarement des best-sellers ; leur tirage est limité et leur prix est élevé du même coup ! On peut s'arranger entre amis, on peut même aller feuilleter sur place. Mais ce ne sera qu'un palliatif là encore, problème ! On ne peut tout de même pas mentionner sur les ouvrages "à consommer avec modération". Ceux qui lisent peu ou pas trouveraient là un prétexte pour s'abstenir définitivement ! On ne peut tout de même pas acheter tout ce qui nous tente car les services qui s'occupent du sur-endettement seraient vite submergés ! C'est ici que nous retrouvons toute l'utilité des auteurs de recensions car ces dernières nous permettent de faire un choix encore plus serré et de n'envisager l'achat que des ouvrages qui correspondent précisément à l'objet de notre recherche ou de notre formation mais le problème financier demeure. Et nous faisons ici la rencontre d'un troisième personnage qui va se révéler essentiel pour (enfin) résoudre la question. Je veux dire la (ou le) bibliothécaire ! Après l'auteur de recensions, après le libraire, le bibliothécaire va venir à notre aide pour nous permettre d'accéder aux ouvrages que nos moyens financiers évidemment limités ne nous permettraient pas d'acquérir. La bibliothèque est, en effet, le moyen d'accès au livre pour tous ceux qui en seraient écartés autrement. Il y a certes des a priori à vaincre ! Même si on reconnaît que c'est un vrai moyen de culture, la bibliothèque traîne, de longue date, une réputation de poussiéreux, de démodé ou de retardataire vis à vis de l'actualité la plus récente. Or, en réalité, la bibliothèque pourrait très bien se définir, non comme le cimetière des livres en fin de course, mais comme la librairie des livres qui ont réussi. C'est-à-dire qu'elle ne garde que la "crème" des parutions passées et ne retient de l'actualité que ce qui, aux yeux du comité de lecture chargé de trier le bon grain de l'ivraie, apparaît comme susceptible d'attirer l'intérêt des lecteurs. Elle est, à la fois, réserve de documents pour le spécialiste et l'étudiant, occasion de découvertes pour le lecteur lambda, entrée dans des mondes ignorés pour le néophyte et source de découverte et de bonheur pour tous ! Cela veut dire qu'elle devra présenter un choix ouvert d'ouvrages afin que chacun puisse y trouver de quoi se nourrir. Elle est là pour répondre à la définition qu'un écrivain un peu trop oublié aujourd'hui, Georges Duhamel, donnait de la culture générale : "la culture générale, c'est de savoir où se trouve le renseignement dont on a besoin". Et nous savons où il se trouve : à la bibliothèque ! Et, en prime, on peut y flâner, feuilleter, parcourir tout à son aise avant de faire son choix. Si j'osais, j'irais encore plus loin, jusqu'à dire qu'une bibliothèque est, pour ceux qui font l'effort de passer la porte, comme un lieu de rendez-vous où nous attendent des gens qui désirent être aimés et qui se donnent sans réserve à ceux qui sont prêts à entrer en dialogue avec eux, auteurs d'hier et d'aujourd'hui, personnes toujours vivantes au- delà du temps et de l'espace, désireuses de faire passer le message de toute leur vie. Dans le cas de la bibliothèque du diocèse, dite "théologique" à défaut d'un meilleur titre, (car elle ne renferme pas que des ouvrages de théologie ! qu'on se le dise !) ce n'est pas encore tout à fait le cas puisque nous sommes encore à la recherche des moyens financiers qui nous permettront de combler certaines absences regrettables. Mais cela vient et notre budget futur devrait nous donner les possibilités de répondre à davantage de demandes. Dès à présent, toutefois, ses rayons sont riches de trésors qui ne demandent qu'à sortir de l'ombre et qui sont disponibles à ceux qui le voudront : ouvrages de découverte ou d'approfondissement, de recherche intellectuelle ou spirituelle, il y a de quoi faire beaucoup de rencontres profitables pour des personnes de tout niveau et de visées très différentes. Il y a là beaucoup de joies qui nous attendent. A condition, bien sûr, de ne pas s'enfermer dans ses livres au point de devenir un "rat de bibliothèque", à condition que le livre soit occasion de partage et de dialogue et source d'engagements, il n'y a vraiment rien de tel qu'une bibliothèque J'ai commencé mon propos en citant le poète chinois Lu-Yu, je le terminerai avec lui : "Vieux, je persiste à aimer les livres : mon cur jamais ne s'en lasse. Dans une vie prochaine, je redoute de figurer parmi les poissons d'argent !" (1) Jean-Louis Lacam (1) Poisson d'argent ou lépisme = petit insecte de couleur argentée qui fréquente les lieux humides. Je précise qu'il n'y en a pas dans les rayons de la bibliothèque car elle est chauffée ! |