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Dieu
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Dieu voudrait-il un sacrifice humain ? En lisant Gn 22,1-19, qui n'a pas ressenti un certain malaise en entendant Dieu dire à Abraham : « Prends ton fils, ton unique, que tu chéris, Isaac, et va, va au pays de Moriyya, et là tu l'offriras en holocauste sur une montagne que je t'indiquerai. » (v.2 ; cf. Lv 1) Dieu voudrait-il un sacrifice humain ? Faut-il lui sacrifier le fils de la promesse tant attendu (Gn 11,30 ; 15,2 ; 17,19 ; 18,11-12 ; 21,5) ? Ne sommes-nous pas devant l'absurde ? « Dieu marche en contradiction avec Dieu. » (St Jean Chrysostome)
Le drame Le choc provoqué par cette page consiste dans la prise au sérieux de cette question. Ce récit exemplaire reflète une expérience religieuse où l'offrant est amené à sacrifier le meilleur de lui-même (ici, son propre fils). Tout semble conduire à la mort : l'ordre divin, le couteau, le bois, la pierre à feu et Isaac (la victime ? ). Le drame est mené à l'extrême, une marche de trois jours, l'ascension de la montagne, la construction de l'autel, la ligature, jusqu'au geste fatal : « Abraham étendit la main, saisit le couteau pour immoler son fils. » (v.3-10) Le narrateur va cependant ménager son lecteur. Il nous prévient qu'il s'agit d'une épreuve (v.1). S'agit-il pour Dieu d'« éprouver et connaître le fond du cur » (Dt 8,2) ? Nous apprenons que Dieu n'est pas absent de ce chemin, « Je t'indiquerai » (v.2 et 9), et que l'avenir reste ouvert, « nous reviendrons vers vous » (v.5), « Dieu pourvoira à l'agneau » (v.8). Le lecteur est ainsi éclairé pour traverser l'épreuve avec Abraham mais il en sait plus que lui.
La foi mise en question Le chemin d'Abraham est celui de la foi. Le vocabulaire du verset 1 le suggère (prendre marcher monter), il rappelle le credo d'Israël. Dieu nous a pris d'Egypte, il nous a fait marcher à travers le désert pour nous faire monter vers le pays où coulent le lait et le miel. Israël en doutera « Que ne sommes-nous morts au pays d'Egypte ! Que ne sommes-nous morts du moins en ce désert ! Retournons en Egypte. » (Nb 14,2) La foi est à l'épreuve, absence de sens, interrogations radicales : « Comme animaux de boucherie, tu nous livres » (Ps 44,12) Le Dieu de l'Exode, le Dieu d'Abraham serait-il un Dieu de mort ?
Convertir notre imaginaire Abraham fait confiance à Dieu qui « verra » l'avenir (v.8). Dieu se révèle capable d'ouvrir un avenir, même dans les situations les plus désespérées. Le SEIGNEUR est le Dieu des vivants ; il ne veut pas la mort. « N'étends pas la main contre l'enfant ! Ne lui fais aucun mal ! » (v.12) Il s'engage à faire vivre l'homme qui lui fait totalement confiance. Dieu « sait maintenant » qu'Abraham le craint (v.12) et Abraham a vérifié que le SEIGNEUR tient ses promesses (v.17-18). Le texte vise ainsi à transformer notre imaginaire sur Dieu. L'auteur assume l'opacité de cette expérience religieuse et nous fait passer du "divin qui veut la mort" au "SEIGNEUR de la vie".
Le sacrifice d'Abraham et non celui d'Isaac En fin de récit, c'est bien un bélier (l'animal père) qui est sacrifié, et non un agneau (l'animal fils). N'est-ce pas Abraham qui a vécu ce sacrifice pendant trois jours ? Dieu ne lui a pas demandé la vie de son fils sur laquelle il n'a aucun droit. Il lui a demandé de rompre l'attache excessive qui était en train de le lier au fils de la promesse, comme son bien propre et définitif. Il accepte que son fils Isaac, le fils de la promesse, n'appartienne qu'à Dieu. Le narrateur suggère cela en ne parlant pas du retour d'Isaac. Alors Abraham, délié de son instinct de possession paternelle, se voit redonner la promesse car elle ne doit pas s'arrêter à Isaac. Finalement, c'est l'attitude spirituelle de l'offrant qui donne valeur au sacrifice, et non la mise à mort de la victime (cf. Os 6,6). Dieu agrée ici la foi d'Abraham comme celle des Israélites qui, à sa suite, offriront des sacrifices au temple de Jérusalem. La tradition biblique identifiera le mont Moriyya au mont Sion, la colline du Temple (2 Ch 3,1), donnant ainsi le vrai sens des sacrifices offerts au Temple.
Les sacrifices humains L'histoire des religions atteste la réalité des sacrifices humains qui ne relève pas d'une mentalité primitive. On sacrifiait à Molok aux portes de Jérusalem : « Il fit passer son fils par le feu. » (2 R 21,6 ; 23,10) Ces pratiques, attestées entre autres chez les Phéniciens, seront condamnées par les prophètes (Jr 7,31 ; Ez 16,20 ; Lv 18,21). La Torah transforme « tu céderas au SEIGNEUR tout être sorti le premier du sein maternel » en substituant pour l'homme un animal : « Tous les premiers-nés de l'homme, parmi tes fils, tu les rachèteras. » (Ex 13,12s) Gn 22 suspend de manière exemplaire le geste de mort.
Pour poursuivre la réflexion Relire Gn 22, repérer les différents points de vue, celui d'Abraham, d'Isaac et du lecteur. Quelles transformations ? Relire sa propre histoire avec ses difficultés, ses doutes : que disons-nous alors de Dieu ? Quels déplacements ? Au cur du drame, le sens nous est donné d'en-haut : « L'ange du SEIGNEUR appela une seconde fois Abraham du ciel. » (Gn 22,11) L'Évangile de la résurrection éclaire-t-il nos vies ?
Texte biblique « N'étends pas la main contre l'enfant » (Gn 22,1-19) 22 Après ces événements, Dieu mit Abraham à l'épreuve, et lui dit : "Abraham ! " Et il répondit : "Me voici ! " (1) Dieu dit : "Prends ton fils, ton unique, celui que tu chéris, Isaac ; va, va au pays de Moriyya, et là fais-le monter en montée (holocauste) sur l'une des montagnes que je t'indiquerai." (2) Abraham se leva de bon matin, sangla son âne, et prit avec lui deux serviteurs et son fils Isaac. Il fendit du bois pour l'holocauste, et partit pour aller au lieu que Dieu lui avait dit. (3) Le troisième jour, Abraham, levant les yeux, vit le lieu de loin. (4) Et Abraham dit à ses serviteurs : "Restez ici avec l'âne ; moi et le jeune homme, nous irons jusque-là pour adorer, et nous reviendrons auprès de vous." (5) Abraham prit le bois pour l'holocauste, le chargea sur son fils Isaac, et porta dans sa main le feu et le couteau. Et ils marchèrent tous deux ensemble. (6) Alors Isaac, parlant à Abraham, son père, dit : "Mon père ! " Et il répondit : "Me voici, mon fils ! " Isaac reprit : "Voici le feu et le bois ; mais où est l'agneau pour l'holocauste ? " (7) Abraham répondit : "Mon fils, Dieu se pourvoira lui-même de l'agneau pour l'holocauste." Et ils marchèrent tous deux ensemble. (8) Lorsqu'ils furent arrivés au lieu que Dieu lui avait dit, Abraham y éleva un autel, et rangea le bois. Il lia son fils Isaac, et le mit sur l'autel, par-dessus le bois. (9) Puis Abraham étendit la main, et prit le couteau, pour égorger son fils. (10) Alors l'Ange du SEIGNEUR l'appela des cieux, et dit : "Abraham ! Abraham ! " Et il répondit : "Me voici ! " (11) L'ange dit : "N'avance pas ta main sur l'enfant, et ne lui fais aucun mal ; car je sais maintenant que tu crains Dieu, et que tu ne m'as pas refusé ton fils, ton unique." (12) Abraham leva les yeux, et vit derrière lui un bélier retenu dans un buisson par les cornes ; et Abraham alla prendre le bélier, et l'offrit en holocauste à la place de son fils. (13) Abraham donna à ce lieu le nom de « le SEIGNEUR voit ». C'est pourquoi l'on dit aujourd'hui : « C'est sur la montagne que le SEIGNEUR est vu ». (14) L'ange du SEIGNEUR appela une seconde fois Abraham des cieux (15), et dit : "Je le jure par moi-même, parole du SEIGNEUR ! parce que tu as fait cela, et que tu n'as pas refusé ton fils, ton unique (16), je te bénirai et je multiplierai ta postérité, comme les étoiles des cieux et comme le sable qui est sur le bord de la mer ; et ta postérité possédera la Porte de ses ennemis. (17) Toutes les nations de la terre seront bénies (se béniront) en ta postérité, parce que tu as obéi à ma voix. " (18) Abraham étant retourné vers ses serviteurs, ils se levèrent et s'en allèrent ensemble pour Béer-Shéva ; Abraham habita à Béer-Shéva. (19) |