Sedif-nimes

Info-Doc n°37

Nouvelles de la bibliothèque

| Précédente |

Echos de la BT

Nouvelles de la bibliothèque

• Père Joseph Moingt, Dieu qui vient à l'homme, Cerf - Cogitatio Fidei

Dans son précédent ouvrage, L'HOMME QUI VENAIT DE DIEU, le Père Moingt étudiait comment l'homme de notre modernité pouvait recevoir de l'histoire de Jésus la révélation de Dieu. Convaincu que la culture occidentale qui a perdu depuis longtemps déjà la trace de Dieu, ne la retrouvera pas sur le chemin de quelque méditation métaphysique, mais sur les pas de l'homme de Nazareth de qui elle avait, autrefois, appris à connaître Dieu, celui de la Bible, avant qu'il ne devienne celui des philosophes, l'auteur évoque le problème de Dieu tel qu'il se présente au croyant d'aujourd'hui.

Le Dieu qu'il cherche à rencontrer, ce n'est pas celui qui "est", mais celui qui "vient" et nous demande de l'accueillir, un Dieu qui apparaît comme Dieu-pour nous et dont le pour-nous appartient au pour-soi, un Dieu dont Jésus nous apprend qu'il est un Dieu de gratuité. Il veut nous dire l'être de Dieu en racontant l'histoire du monde comme étant celle de Dieu avec nous et étend sa recherche à la foi en Dieu car l'étude de Dieu ne peut qu'englober celle de la foi qui l'atteste et de la tradition qui la véhicule, donc aux rapports de la théologie contemporaine et de la philosophie de la modernité. Constatant que l'histoire moderne voit l'homme s'éloigner de Dieu alors que Dieu s'approche de lui, il va se demander quel est ce Dieu qui laisse l'homme s'échapper.

Dans un premier chapitre intitulé "Le deuil de Dieu", l'auteur parcourt la philosophie pour y rechercher les causes de l'incroyance. Après Descartes qui, le premier, voulait fonder en raison l'existence de Dieu, Spinoza, les déistes du 18ème siècle, il suit l'évolution de la pensée jusque Kant et Hegel pour rencontrer avec Feuerbach et Nietzsche l'affirmation de la "mort de Dieu". Puis il aborde avec Heidegger l'agnosticisme contemporain qu'il confronte à l'effort théologique du 20ème siècle avec de Lubac, Von Balthasar, Rahner ... ) Ce chapitre, ardu pour qui n'est pas familier de la pensée philosophique, mais fécond et éclairant pour qui acceptera de faire l'effort demandé, vise à nous amener à discerner de quel Dieu l'on parle, pour nous faire découvrir que le Dieu dont on nous annonce la mort est le Dieu des religions et des philosophies et nous renvoyer alors à l'Évangile, seul capable de nous dévoiler l'identité du Dieu qui s'est révélé en Jésus.

Le second chapitre "Le dévoilement de Dieu dans le corps du Christ" est plus directement accessible et répond plus immédiatement à nos interrogations. Dieu se révèle en Jésus : nous découvrons le visage de Dieu à travers les paroles, les gestes et les signes de Jésus- nous nous apercevons ensuite que la tradition chrétienne a progres-sivement revêtu le Dieu de Jésus des notions communes au Dieu des religions et à celui des philosophies. A travers la mort et la résurrection de Jésus, nous pouvons redécouvrir la nouveauté du Dieu qui s'y révèle dans son "être-pour- nous". Ce cheminement s'effectue en quatre étapes :

- Révélation et religion : Une réflexion sur l'apport de Troeltsch (la révélation dans l'histoire des religions) et de Tillich (la révélation dans la structure de l'être)

- Jésus comme révélateur de Dieu : Jésus annonce et attend une révélation à venir, celle du Royaume de Dieu, au-delà et en dehors de toute religion. Les signes qu'il accomplit le font reconnaître comme Christ en révélant Dieu en lui, et appellent notre foi. Sa résurrection apparaît comme un acte de Dieu tirant la vie du monde de la mort de Jésus mais elle n'est connaissable, en tant que fait d'histoire, que par la foi seule.

- La tradition de la foi : Né de l'Évangile, hors religion, le christianisme s'est institué héritier d'Israël quant aux Ecritures, au culte et à la médiation de salut et a ainsi construit son édifice religieux en prenant plutôt ses repères dans la loi ancienne que dans l'Évangile. Il s'est très tôt approprié l'idée de Dieu qui appartient au fonds commun des religions et il la développera progressivement avec l'aide de la philosophie (ontologie) pour élaborer le dogme trinitaire. Ainsi s'est introduit dans le christianisme ce que le Père Moingt appelle le "bien-connu" de Dieu dont le christianisme d'aujourd'hui éprouve le besoin de se dégager en cherchant quel Dieu s'est révélé en Jésus. Car il liait si bien la croyance en Dieu à l'autorité d'une religion, elle-même adossée à la puissance politique, qu'un temps vint où les hommes voulurent se libérer de l'une pour s'affranchir de l'autre. Ce fut le drame de la "mort de Dieu" qui s'est produite sur le terrain de la culture parce que la foi avait déserté celui de l'histoire.

Avec Rosenzweig, Bonhöffer et D. Solle, commence à se formuler une nouvelle idée de Dieu à travers un nouveau langage. En réponse à la contradiction entre un Dieu tout puissant et la souffrance des innocents, apparaît la notion de "Dieu souffrant" mise en lumière par une "théologie de la croix", notion nécessaire si nous voulons aller au-delà de "l'athéisme de protestation" (Moltmann).

"Comment penser Dieu après Auschwitz ?" demande le théologien juif H. Jonas... Pour E. Jungel, il faut comprendre l'unité de Dieu avec l'homme qui passe comme l'identi-fication du Dieu vivant avec Jésus de Nazareth crucifié et l'évènement de cette identifi-cation comme la vie du Dieu crucifié. C'est "l'humanité" de Dieu et Dieu doit être pensé comme amour, comme Etre-pour-nous. La révélation de Dieu en Jésus doit être aujourd'hui pour nous ce qu'elle a été pour les premiers disciples : un double appel

- à la conversion, c'est-à-dire à suivre Jésus et à vivre une relation éthique avec les autres sur le modèle de celle de Jésus ;

- au Royaume de Dieu, comme humanité libérée et réconciliée, pressentiment d'une espérance qui soulève l'histoire et cette espérance porte le nom de ce Dieu à redécouvrir.

- Dieu révélé dans la foi au Christ : La révélation se fait en dévoilant et communiquant l'être trinitaire de Dieu et s'achève dans la foi qu'elle suscite. Acte de Dieu de se communiquer aux hommes, elle est Parole et Histoire : Parole de Dieu mêlée à l'histoire des hommes, Histoire de Dieu portée par le discours des hommes. Elle fait irruption par de multiples voies à recon-naître, mais particulièrement dans cette annonce scanda-leuse : ce qui est arrivé à Jésus, c'est ce qui est arrivé à Dieu même. L'annonce de la "mort de Dieu" contient une vérité : le Dieu de Jésus accepte d'être ignoré, rejeté, tué, blasphèmé.. (cf. Paul : la folie et la faiblesse de la croix).

La négation du "bien-connu" de Dieu appartient à la vérité de Dieu en Jésus : Dieu s'est laissé nier et rejeter par ceux-là même à qui il en a donné la liberté. Le croyant doit assumer la "mort de Dieu".. Dieu était dans la mort de Jésus comme il était dans sa résurrection : Dieu se révèle dans un acte de donation absolue : il donne d'être à ce qui n'est pas, il se fait ainsi connaître comme Amour communiant à notre mort pour nous faire communier à sa vie, comme "Dieu-pour-nous", libérateur de l'histoire humaine.

Le dogme trinitaire de l'Eglise est né de l'évènement de mort/résurrection qui montre Dieu en structure relationnelle : Père vis-à-vis du Christ, Emetteur vis-à-vis de l'Esprit, et qui met Jésus en relation de Fils vis-à-vis de lui et de Co-Emetteur vis-à-vis de l'Esprit.

La radicale nouveauté de la manifestation de Dieu en Jésus, c'est de révéler qu'il existe pour-nous, c'est-à-dire que Dieu existe en rapport avec nous au plus intime de son être pour-soi, à savoir de son existence trinitaire. L'inconnu de Dieu que la révélation substitue au "bien-connu" de la philosophie et de la religion, c'est ce rapport de l'en-soi au pour-nous.

Après cette relecture de la révélation et la redécouverte d'un Dieu qui, par amour, s'est fait impuissance et souffrance, il nous reste à attendre, dans le second tome à venir, le "Déploiement de Dieu dans la chair du monde" et la "Naissance de Dieu", terminant ainsi notre parcours par la manière d'annoncer Dieu en termes nouveaux à des hommes qui ont perdu tout souvenir du Dieu de leurs pères.

Ce livre décapant nous amène à nous poser l'éternelle question : "Pour vous, qui suis-je ?" mais veut nous donner les moyens d'y répondre. Que l'auteur en soit remercié.

Jean-Louis Lacam